Valentin Saluja
 
- révélation (Kinshasa - RDC) -

d'ordinaire, dans un pays occidental, européen, américain, quel qu'il soit, on fait l'experience de notre propre intimité, de notre conscience de nous-même, qui englobe tout le reste, et recouvre notre environnement, filtre, au travers lequel nous lisons le monde.
au loin, nous distinguons, par les divers témoignages journalistiques, l'histoire de la planète, les rapports de force géopolitiques, les guerres, les combats physiques, sans que jamais nous ne soyons impliqués dans ces vertigineux enjeux, ou alors indirectement, de par nos actions politiques, ou éthiques, qui modifient subtilement l'équilibre de l'univers, ou du moins nous le supposons.
ici, le monde est visible. il est garé au coin d'une rue. il patrouille. il interpelle. il se montre. se révèle.
dans laquelle de ces deux situations mon sentiment d'impuissance est-il le plus cuisant ? je l'ignore.

 
- bleu (Kinshasa - RDC) -

un pays comme un enfant, que ses tuteurs doivent protéger de lui-même,
de peur qu'il ne se détruise.
du bleu rassurant, comme les habits des nouveaux nés,
la couleur du calme, sérénité diplomatique,
apaisement militaire, un fusil dans le champ.
tout peut toujours basculer, à tout moment,
comme si la civilisation ne tenait qu'à une seule couleur.
autour, l'ombre.

 
- témoin (Kinshasa - RDC) -
il est très difficile de prendre des photos ici.
on peut même dire que c'est interdit, officieusement.
les rues sont striées de militaires. et même si un billet tout frais leur fait fermer les yeux, mieux vaut ne pas s'aventurer dans ce type de relation, pur racket d'état organisé.
il est très difficile de prendre des photos ici.
et je trouve ça intéressant.
un peu comme autrefois, l'image que l'occidental se faisait du bon sauvage, africain ou autre, effrayé par un appareil photo dont il craignait qu'il lui vole son âme.
le principe est presque le même, l'argent en plus, parce qu'il est assez difficile de savoir ce que craignent réellement les autorités. montrer une réalité que tout le monde connait ? pourtant on ne nous ôte pas nos appareils photo à la frontière.
alors quoi ?
j'aime à penser que ce reflex est un mélange subtil entre le désir de pouvoir ("vous êtes chez moi") et la trace coloniale ancestrale que l'occidental possède une science et une pensée qui restera à jamais loin du peuple africain, comme si d'une simple photo, d'un cadrage spécial, nous étions capables de révéler quelque chose d'invisible à leurs yeux.
tant qu'on ne nous laissera pas prendre librement des photos en Afrique, son peuple ne sera pas libéré de notre emprise.


 
- vide (Kinshasa - RDC) -
c'est sur le continent africain que se dresse le point culminant du relativisme occidental.
mais malgré tout, plus je reste ici, et plus je commence à déceler toutes les similitudes entre l'apparente organisation de nos sociétés et l'anarchie la plus totale qui règne dans ce pays.
il est fort probable que la différence majeure ne réside pas dans les systèmes politiques, ou l'organisation des communautés, mais dans la franchise qui préside à leur application.
ici, les mêmes horreurs sont perpétrées par les mêmes gouvernants, à la différence près qu'elles le sont au grand jour. les explosions de colère sont ainsi plus fréquentes, et la repression plus violente.
mais pour schématiser, le principe reste le même.