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L'IMAGE DE LA DEFLAGRATION
APPLIQUEE A LA DIFFUSION VHS
(en s'appuyant sur l'exemple du diptyque ROT/BLINK de Valentin Saluja)
>>>>>>Chronologie :
6 mai 1991 :
Valentin Saluja termine le tournage de ROT.
Cette partie du diptyque consiste en un plan fixe saturé de rouge sur lequel viennent progressivement s'incruster, de manière presque imperceptible du fait de leur couleur elle-aussi très proche du rouge, les mots EYE (4'13), JOY (9'33) et TNT (15'41).
9 juillet 1991 :
Valentin Saluja termine le tournage de BLINK.
Il s'agit d'un plan unique, tout d'abord noir, puis s'éclaircissant de plus en plus mais de manière très lente, jusqu'à devenir entièrement blanc (environ 8 minutes). A ce moment du film, on distingue à peine, clignotant en gris clair sur blanc, le mot FIRE, puis du blanc, le fond repasse lentement au noir (8 minutes à nouveau).
12 février 1992 :
Dans son appartement de l'avenue de la Victoire du Socialisme à Bucarest, Valentin Saluja achève de monter ROT/BLINK à l'aide d'une table de montage appartenant à Fedor Dubiev. Pour le remercier de ce prêt, il lui offre une copie du diptyque, directement tirée du master VHS (on appellera cette génération une copie de type 1).
7 mars 1992 :
Première projection dans l'appartement de Valentin Saluja du diptyque. Sont présents Victor Burnes, Nicolas J., Sven Hills, Fedor Dubiev.
Chacun d'eux repartira avec une copie de type 1.
13 mars 1992 :
En voyage à Minsk chez un ami (vraisemblablement Arnold Guttenheim), Saluja reçoit un appel de Fedor Dubiev. Celui-ci lui apprend que son appartement a été détruit par un incendie. Saluja revient immédiatement mais cela ne changera pas grand chose. Dans les décombres, il ne découvrira que des bandes magnétiques fondues et des cendres. La copie 0 du diptyque ainsi que les rushes sont irrécupérables.
21 avril 1992 :
Première projection de ROT/BLINK à Paris.
Il s'agit de la copie de type 1 offerte par Valentin Saluja à Nicolas J.
Chacun des 13 spectateurs de cette séance reçoivent une copie du film (copie de type 2).
7 juillet 1992 :
Victor Burnes édite 30 exemplaires de sa revue vidéo PLAY à Melbourne dans laquelle est inclus le diptyque ROT/BLINK (copie de type 2).
7 septembre 1992 :
Le festival à domicile (under) à Stockholm présente ROT/BLINK. L'organisateur est Sven Hills, présent à Bucarest lors de la première. Néanmoins, la copie projetée est étrangement une copie de type 3, soit disant apportée de France par un ami (peut-être Nicolas J., mais rien n'est sûr).
A ce point de la chronologie, on peut envisager 2 hypothèses :
- Sven Hills a perdu la copie de type 1 confiée par Valentin Saluja et un concours de circonstances l'oblige en urgence à récupérer une copie type 3.
- Sven Hills, qui a largement contribué au matériel théorique de "feux d'artifices", revue unique qui devait être diffusée par Valentin Saluja mais dont la majorité des exemplaires ont été détruits dans l'incendie de son appartement, a très bien pu sciemment copier à 2 reprises sa copie 1 de manière à dégrader sa qualité et ainsi appliquer les théories de Saluja sur la déflagration comme image de la diffusion VHS.
12 septembre 1992 :
Projection à Sydney de ce qui semble être une copie 3+.
La branche 3+ s'ouvre avec les 30 destinataires de la revue PLAY. Elles sont aisément identifiables comme telles, car même amputées de reste de la revue, en bas à droite de l'image figure le logo PLAY incrusté lors de la conception.
Après la projection de Sydney, on retrouve des traces de la branche 3+ à Wellington (NZ), Londres (UK), New York (USA), San Francisco (USA), Oslo (S) et Madrid (E). Elle apparaît aussi bien sûr le 9 août 1999 à Bucarest.
janvier 1994 :
L'éditeur underground Groyd édite par correspondance le diptyque ROT/BLINK aux Pays Bas.
On ne sait pas exactement quelle copie sert de master pour cette branche mais au vue de l'état de l'image et du son, on l'a évalué comme étant au moins de 15ième génération (branche 15+ ou branche Groyd).
On identifie les copies 15+ grâce au générique ajouté sur chaque copie de la collection.
On ne trouve pas de traces de projection publique de copies 15+, généralement acquises à titre personnel. Néanmoins, il semblerait que Fedor Dubiev, présent lors de la première de Bucarest et possédant une copie de type 1, se soit procuré une copie 15+ (voir 9 août 1999).
octobre 1994 :
Sur le newsgroup alt.video.xp, un certain Laios fait allusion à l'existence d'une copie de ROT/BLINK en Pologne. D'après son témoignage, la cassette est de qualité tellement mauvaise qu'un souffle rauque fait office de bande son tandis que l'image de ROT reste désespérément rouge et striée de parasites. BLINK est tellement incompréhensible que Laios n'y fait même pas allusion.
Ce qui est intéressant dans ce témoignage, c'est que malgré sa précision, il n'est nulle part fait allusion à un logo (branche 3+) ou à un quelconque générique (branche 15+), ce qui laisse à penser qu'il existerait une autre branche générationnelle. Questionné sur la provenance de sa copie, Laios se murera dans le silence et disparaîtra du newsgroup.
Certains critiques continuent de penser que c'était Valentin Saluja lui-même qui se cachait derrière ce pseudonyme dans le seul but d'entretenir sa propre légende. Néanmoins, l'ancienneté du personnage de Laios ainsi que la qualité de ses interventions, qui souvent laissaient à désirer, prêchent plutôt en faveur d'une branche X+, ayant pris source, soit lors de la distribution des copies 1 initiales, soit à la suite de la projection de Stockholm (festival (under)), soit, et c'est plus vraisemblable, lors de la distribution des 13 copies de type 2 par Nicolas J. à Paris le 21 avril 1992.
juin 1994 :
Dans l'article de Toru Nakatomi paru à Tokyo dans le fanzine AKA, on apprend qu'il existe deux versions du diptyque en circulation au Japon. Une première, clairement identifiée comme étant une copie 15+ et une autre, plus mystérieuse, ne portant aucun indicateur.
On aurait donc à faire à une X+, mais pas du type polonais car le fanzine AKA précise que la bande-son, curieusement, est très audible et de plus qu'elle se compose d'une longue improvisation psychédélique à la guitare électrique. Selon toute vraisemblance, cette génération X+db aurait donc subi un dubbing afin de servir de clip à un groupe underground japonais. Cette branche réapparaîtra dans diverses publications, en particulier sur le web, sous forme de photos d'écran identifiées comme étant représentatives de la production audiovisuelle psyché japonaise (!).
20 novembre 1996 :
A New York City, le réseau Microcinema projette ROT/BLINK au milieu d'un programme consacré à l'abstraction. Il s'agit clairement d'une copie 3+, mais qui a atteint un tel degré de dégradation que les spectateurs de la projection crient à l'escroquerie.
Sans l'effervescence qui accompagne cette projection, il est probable que jamais personne n'aurait pu se douter de l'importance du film. En effet, le programme de la soirée l'annonçait comme "film culte", "véritable chef d'oeuvre", "légende de la vidéo expérimentale". La déception est à la hauteur de l'attente...
14 février 1997 :
A Budapest, Valentin Saluja rencontre le critique danois Jan Ktnitke qui prépare un article sur ROT/BLINK et plus généralement sur l'oeuvre de Valentin Saluja.
Ce dernier déclarera : "ROT/BLINK est un film global qui n'est pas encore achevé. C'est un film total qui n'existe que grâce à la communauté pour la communauté. Aucun d'entre nous ne peut encore comprendre sa signification ou son impact. Son sens évolue maintenant hors de tout contrôle."
Devant ce que Ktnitke interprète comme un orgueil démesuré, il renonce à rédiger son article. Cette rencontre est néanmoins primordiale car c'est la dernière apparition de Valentin Saluja. Après ce 14 février 1997, le créateur de ROT/BLINK disparaît totalement.
Nous sommes le jour de la Saint Valentin.
9 août 1999 :
Fedor Dubiev organise à Bucarest une conférence intitulée "De l'image de la déflagration appliquée à la diffusion VHS (en s'appuyant sur l'exemple du diptyque ROT/BLINK de Valentin Saluja)" (extraits).
De 15 heures à 19 heures, il explique en détails le parcours de toutes les branches connues en insistant sur leur dégradation et leur vitesse de propagation.
Il établit de plus un faisceau de similitudes entre l'explosion physique d'une charge de haute puissance et la diffusion du film ROT/BLINK telle qu'elle s'est déroulée durant les 7 années précédentes. D'après les documents présentés lors de cette conférence, il semble évident que Dubiev n'a pas effectué un travail a posteriori mais qu'il a vraiment suivi le film quand celui-ci se déplaçait autour du monde.
Une des critiques majeures de cette conférence était d'ailleurs l'argument que Dubiev ainsi que Valentin Saluja et ses amis aient "forcé" la diffusion de leur film en le portant là où la théorie prévoyait qu'il se rende. Ainsi, quand Dubiev explique qu'il contacte la revue AKA pour se procurer une copie X+db, d'autres témoignages affirment qu'il était pourtant présent lors de l'été 1995 aux concerts du groupe AVALON, lequel se servira du diptyque pour illustrer sa musique. De là à dire que Dubiev a suggéré à AVALON d'utiliser le film de Valentin Saluja, il n'y a qu'un pas que beaucoup aujourd'hui n'hésitent plus à franchir.
Dans la liste des rumeurs entourant cette conférence, il est aussi souvent avancé que Dubiev et Valentin Saluja pouvaient très bien être la même personne, aucun participant n'ayant jamais rencontré Saluja en personne.
A la question : "Où est Valentin Saluja aujourd'hui ?", Dubiev fit cette réponse énigmatique : "Il a cessé de faire des films. Maintenant, il voyage."
>>>>>>Extraits du texte de la conférence du 9 août 1999 :
Equation :
(...) Nous ne sommes pas mathématiciens et au regard de cette science, les similitudes que je vais maintenant mettre en évidence sont bien sûr ridicules, néanmoins il est troublant d'observer à quel point les théories telles que celle de la relativité s'adapte curieusement, bien que grossièrement, à notre sujet. Ainsi de la même manière que E=mc², nous pouvons sans peine, à partir des données en notre possession, établir que la qualité d'une copie (que nous appellerons q), si elle dépend du nombre de génération qui la précède, est surtout affectée par la vitesse (v) de son déplacement dans l'espace.
Prenons par exemple, dans la chronologie, les copies de type 2.
Quand à Paris (1870 km de Bucarest), les spectateurs de la séance organisée par Nicolas J. reçoivent une copie relativement propre, on constate qu'au même niveau générationnel mais à Melbourne (14977 km de Bucarest), les copies diffusées dans la revue vidéo PLAY trois mois plus tard sont étonnement mauvaises.
Pour revenir aux mathématiques, on pourrait donc poser l'équation q = 1/v où q est une norme technique dont la valeur 1 serait donnée à la copie 0 de Valentin Saluja, brûlée dans les flammes de son appartement de Bucarest.
Mathématiquement parlant, cette copie 0 qui n'a pas voyagé depuis sa création possédait donc une vitesse nulle, rendant l'équation de dégradation paradoxale, et entraînant, un peu de mysticisme aidant, la destruction totale de l'appartement de Saluja. (...)
Onde de choc :
(...) Pour illustrer cette similitude de l'onde de choc provoquée par l'explosion d'une charge de haute puissance, nous allons nous pencher sur l'exemple édifiant de la projection du 20 novembre 1996 à New York.
Nous sommes quatre ans après la première de ROT/BLINK à Bucarest. Autant dire que dans le petit monde de la vidéo expérimentale, le bruit a déjà largement eu le temps de courir que Valentin Saluja a enfin réalisé un film. Celui-ci était en effet déjà connu pour avoir contribué de manière active à l'élaboration d'une théorie de la création vidéo.
Un nombre très limité d'individus ont lu les écrits de Valentin Saluja, mais ses théories sont largement citées ou discutées. L'attente est d'autant plus grande que ceux qui ne connaissent pas Saluja ont le loisir de le découvrir par l'intermédiaire d'un article très élogieux rédigé par les organisateurs de la soirée. ROT/BLINK y est présenté comme le clou de la projection.
Quand on présente la copie 3+ en piteux état, la déception est donc énorme. Le bouche à oreille qui suit est d'ailleurs fatal à la carrière du diptyque aux Etats Unis. Plus aucune copie ne sera faite à partir de cette 3+.
Prenons maintenant le cas de l'explosion d'une charge de haute puissance.
Lors de la combustion rapide du matériau explosif, on assiste à une création d'énergie exceptionnelle et presque instantanée. Celle ci est due à la transformation de ce matériau solide en gaz. Les conditions de pression étant bouleversées, afin de rétablir l'équilibre physique et la stabilité du système, le phénomène a besoin de compenser le désordre en se reportant sur les facteurs caractéristiques de l'air environnant qu'il peut altérer (température et vitesse).
Dans le cas d'une explosion, c'est donc la pression qui commence à augmenter, provoquant une accélération de la vitesse de l'air environnant que l'on nomme communément "onde de choc".
L'onde de choc peut en quelque sorte être considérée comme la zone tampon entre deux états qui peuvent être identiques ou légèrement différents.
Dans le cas de la projection du 20 novembre 1996, les spectateurs new-yorkais sont au coeur de l'onde de choc, autrement dit au coeur d'une perturbation globale des facteurs caractéristiques du système. Pour être viable, le système a besoin de rétablir sa stabilité et la projection ainsi que ses suites critiques sont les phénomènes de compensation du désordre.
Après le développement de ces phénomènes, le système reprend sa forme initiale, légèrement modifiée par l'événement. (...)
allusion à feux d'artifices :
(...) le fait que la projection de ROT/BLINK ne suscite qu'un engouement assez minime intéresse peu Valentin Saluja. Comme nous l'avons mis en évidence, l'intérêt de son projet réside dans son image globale et sans le recul sur le travail de diffusion des VHS, on ne peut saisir que des bribes artistiques sans pratiquement aucun sens.
En bref, pour reprendre l'idée de l'explosion, chère à Saluja, assister à une projection unique de ROT/BLINK revient finalement à observer dans un ciel noir l'apparition et la disparition d'une lueur rouge sans jamais comprendre que cette lueur n'est qu'un point dans la rosace complexe d'un feu d'artifices savamment étudié. Pour mémoire et puisque nous n'en avons pas encore parlé, le mot ROT désigne en langue allemande la couleur rouge [NdT : le mot BLINK signifie "clignotement" en anglais.] et "feux d'artifices" était le nom de la revue publiée mais non diffusée par Valentin Saluja.
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